Le label Radio Martiko est revenu d’Égypte avec une sélection de pépites qui racontent la créativité d’artistes égyptiens férus de musiques exotiques.
Le Caire, dès les années 1910, devient l’épicentre de la production musicale dit « orientale ». La radio égyptienne, instrument d’influence, couvre l’Afrique, la Méditerranée et le Moyen-Orient. Elle fait connaître au monde Farid el Atrache, Oum Kalthoum ou encore Mohamed Abdelwahab (pour ne citer que ceux-là). L’industrie du cinéma, où les chanteurs jouent les premiers rôles, contribue également à leur succès international.
Le Caire est aussi, tout comme Alexandrie et Port-Saïd, une ville cosmopolite où convergent des hommes et des sons du monde entier. Certains artistes s’inspirent de ces musiques exotiques et puisent de nouveaux ingrédients dans le mambo, le bolero ainsi que d’autres musiques latines, mais aussi dans le jazz et le twist. Le label Radio Martiko, basé en Belgique, a exhumé quelques-unes de ces pépites singulières parues dans les années 50 et 60, principalement sur le label Misrphon, nationalisé par le régime de Gamal Abdel Nasser en 1961 et rebaptisé Sono Cairo.
De pépites il s’agit bien, car, comme le précise le label : « les premières expériences de fusion comme celles-là sont toujours uniques. Des traditions aussi différentes peuvent en effet se heurter et donner une musique abominable, ou bien se mélanger de manière harmonieuse ». Et c’est bien ce qui a poussé Martiko Records à rassembler ces neuf titres inclassables et somptueux, déclinaisons alléchantes de l’« exotica » égyptienne de ces années-là. Certains des artistes qui y figurent n’ont pourtant guère laissé de traces, les vieux interrogés ayant perdu le souvenir de ces comètes atypiques qui traversèrent les studios de Misrphon puis de Sono Cairo. Mais d’autres, comme Mohamed Fawzy – compositeur et acteur qui fonda le label Misrphon ou encore le saxophoniste Sayed Salamah, rappelleront de bons souvenirs aux amoureux du Taarab made in Egypt. Et que dire du titre « Ahallefak Washkeek Lellah », chanté par Souad Mohamed ? S’agirait-il de Souad Mohamed Hosni, qui tourna plus de 80 films et fut surnommée « la Cendrillon du cinéma égyptien ? » Sans doute pas.
Peut-être s’agit-il de Souad Muhammad, née à Beyrouth et qui fit ses grands débuts au Rex du Caire, tourna dans le film Une fille de Palestine réalisé par la célèbre Aziza Amir, avant de disparaître des scènes et écrans, rangée dans une sage vie de famille ? Toujours est-il que ce disque surprenant offre un voyage exubérant et résolument dépaysant. Est-on en Égypte, à Cuba, au bord d’une arène andalouse, dans un dancing algérois où se pressent des danseurs en pattes d’eph ? Un peu tout cela à la fois.
Les Américains comme Martin Denny, dans les années 50, puisaient instruments et sons dans les cultures d’orient, d’Afrique et du pacifique pour offrir des voyages musicaux dans des pays imaginaires. On appela ce mouvement « exotica ». Voilà pourquoi les selectas du label Radio Martiko voient dans ces pépites des exemples d’exotica en version égyptienne. Le terme peut néanmoins se discuter, tant les influences musicales, particulièrement celles venues des Caraïbes et des États-Unis, circulent alors dans le monde entier. Ils ont une influence déterminante, comme en attestent le développement à la même époque du highlife ghanéen ou de la rumba congolaise. Mais qu’importent les termes, car la résurrection de ces perles d’Égypte de Zamaan Ya Sukkar (« l’époque douce comme le sucre ») mérite absolument d’être saluée, et écoutée !!!
Le disque Zamaan Ya Sukkar est distribué en numérique et édité en vinyle – disponible sur Bandcamp ou sur le site de Radio Martiko.